Huit coups sonnent au carillon. Alors que les volets clos témoignent d’une matinée sabbatique, les premiers rayons s’étirent. La ville encore à moitié endormie, lentement, se tire de son sommeil.
À 550m d’altitude, au pied du Pic du Midi de Bigorre et des légendaires cols d’Aspin et du Tourmalet, au cœur de la cité thermale de Bagnères de Bigorre, les rues étroites abritent des bâtisses de pierre, surélevées de coquets balcons de bois. Dans le centre piéton, on perçoit les premiers bouillons d’un samedi matin comme les autres. Malgré une impression de petit chaos, les stands de producteurs locaux, artisans et vendeurs de textile se déploient méthodiquement autour de la halle. Les rues s’animent, les personnages tirent leur béret et se saluent, les paniers trinquent, les derniers volets s’entrouvrent.
Le Café des halles laisse s’échapper les effluves d’un comptoir matinal. Comme un repère d’habitués, c’est le passage obligé pour se tenir au goût du jour : bons plans champignons échangés dans le secret, commérages de bonne femmes, journal du matin et café-croissant. Qu’il est doux de s’improviser bagnérais un samedi d’été.
Nul besoin de s’aventurer bien loin pour quelques emplettes aussi goûteuses que mondaines. À portée de main, le fromage frais moulé à la main est plus qu’alléchant. Une jeune femme svelte et élancée propose ses faisselles, crottins de brebis ou de vache, œufs et lait frais sur une modeste table pliante. Trois mètres plus loin, entre un buisson de dahlias et un étal de tomates : Yvonne, Jeanne et Maité vantent la cueillette du potager récolté la veille : quelques betteraves crottées, d’impressionnantes pousses d’épinards en bouquets, un cageot de tomates, deux potimarrons, quelques bottes de poireaux, carottes d’Asté, mignonnes pommes de terre et oignons de Trébons. Derrière leur ministand, chacune assise sur une pile de cageots ajustée, les trois commères sont en poste depuis sept heures ce matin. C’est l’occasion hebdomadaire de se raconter les mille histoires d’ici et d’ailleurs qui font l’actualité locale. La bonne humeur règne et les manteaux tombent. Il est neuf heures.
En faisant le tour de la halle, après un détour par l’étal d’une fromagère chic et très pouponnée emballant ses produits dans un pliage digne d’une figure d’origami, le marché biologique empile des tonnes de légumes: courgettes de toutes formes, salades pommées, poivrons verts, rouges et noirs… Les tommes fromagères, en piles, patientent à l’ombre, les paniers sont gorgés de soleil et les tomates ne demandent qu’à être croquées sur le champ. Certains exposants proposent des produits fait maison issu d’une production d’auto-suffisance : pains spéciaux, tartes aux légumes ou cakes aux myrtilles, d’autres vendent les produits issus d’une agriculture raisonnée, biologique ou biodynamique.
À peine la rue de Thermes traversée, la halle offre l’une de ses deux majestueuses entrées. Ce bâtiment de tradition « Baltard » est le cœur du marché, le grand rendez-vous hebdomadaire.
Au bonheur de la gourmandise, les odeurs se mêlent, et sur la mélodie d’un brouhaha de salutations, les exposants hèlent à tout va des prix se faisant à peine concurrence. Les étals sont pleins. À côté des maraîchers, charcutiers et crémiers, un stand est dédié à quelques douceurs locales telles le « gâteau à la broche ». Comme une stalagmite dorée faite de pâte à quatre-quart, ce dessert vient à point pour un repas ou une collation sans limitation d’âge.
« Un peu de verdure ? » Le groupement agricole Ouscade suggère aujourd’hui des tomates de toutes tailles, salades diverses, blettes, haricots, concombres, courgettes, et aromates. Les habitués papotent en file indienne et les paniers repartent presque tout de vert vêtus.
Bordant les pâtisseries et pains artisanaux, un comptoir en zinc invite à une courte pause le temps d’un ballon de blanc et d’une douzaine d’huîtres. Il faut parfois chercher sa place, cependant, quelle fabuleuse récompense que celle d’un apéritif furtif ou prolongé alors que Madame ou Monsieur part chercher l’ultime nécessaire ou superflu qui vous fera tenir une semaine de plus : fraises garriguettes, melons à point, saumon ou truite de l’Adour, saucissons nature ou au poivre, tommes fromagères de toutes allures, fromages frais et extra frais. Bagnérais, visiteurs d’un jour, familles en vadrouille, la halle bat son leur plein, toutes générations confondues.
À onze heures, un groupe d’hommes en habits traditionnels se rassemble en formant un cercle. Profitant du dôme architectural, les Chœurs de Bigorre entament un concert a capella. Plus tard, ils se reproduiront sur les allées des Coustous et dans les ruelles de Bagnères. Le festival À Voix Haute a lieu tous les ans au mois d’août, proposant des concerts de chants traditionnels d’ici et d’ailleurs et célébrant le chant dans les rues de Bagnères. C’est ainsi que même sans comprendre grand-chose au patois local, l’on peut s’émouvoir de petits clans d’hommes, jeunes et plus âgé, élever leur voix sans artifice.
En quittant la halle, un saut à la boulangerie est de mise, peut-être un arrêt à la charcuterie-boucherie de la rue Justin Daléas, l’histoire d’un tendre morceau d’agneau du Hailla de Cieutat, quelques coustous* et le sourire de la bouchère, qui aux côtés de son mari Michel tient la boutique depuis 31 ans.
C’est sans oublier l’ancien marché aux bestiaux, sur l’esplanade de la halle aux grains, qui, au delà des allées des Coustous et passée l’église Saint Vincent, étale quantité de fleurs de saison, de plantes et de plants maraîchers. On peut également s’y procurer les fameux tistailhs**, mais aussi cloches de vaches, couteaux, besaces et divers accessoires très utiles à la vie bagnéraise comme le peigne à myrtille qui, en ce mois d’août, constitue l’indispensable à toute promenade ou randonnée en petite montagne. Reste à chausser ses godillots et trouver le bon coin ! Cela reste le secret gardé de chacun.
Petite histoire du marché de Bagnères et de sa Halle.
Au XV° siècles, le quartier des Bouyaous – ou marchands de bestiaux – s’étend des Coustous à l’Adour. C’est alors qu’en février 1609, le Roi Henri IV ordonna la construction de la Halle de Bagnères de Bigorre. Un premier marché couvert y fut installé dans les années 1620-1630. Cette première halle fut détruite par un incendie en avril 1811 pour n’être reconstruite définitivement qu’à la fin du XIX° siècle selon la tradition architecturale « Baltard » prônant une architecture métallique élancée et légère avec une couverture d’ardoise.
Mais dans les années 70, elles sont réaménagées par les services techniques, qui camoufle la superbe structure par un fond plafond et un système de chauffage propres au supermarché, alors très en vogue.
En 1999, le choix est fait d’un retour au caractère noble de la tradition Baltard. Les 900m2 de halles retrouvent leur cachet original grâce à la suppression du faux plafond, un carrelage paysan et le remplacement du chauffage par un chauffage des allées uniquement. Redistribution et uniformisation des stands sont faites dans le but de retrouver un espace davantage aéré, regroupant une douzaine d’exposants parmi les 200 du marché hebdomadaire.
Aujourd’hui, la halle et le marché de Bagnères réunissent près de 200 exposants chaque samedi. Des allées des Coustous aux thermes, on trouve de petits producteurs locaux, des fermiers d’Ossau, du Béarn et du Lot-et-Garonne, des fruits et légumes, des produits du terroir, poissons et fruits de mer, charcuterie, pain artisanal, vin et liqueurs du pays et quelques délicieuses patisseries.
Le « marché aux fleurs », est situé de l’autre côtés des Coustous, place du foirail (esplanade de la Halle aux grains), où une quinzaine d’horticulteurs et autres exposants (bricolage…etc.) installent leur étal le samedi de 8h30 à 18h en hiver et de 7h30 à 19h en été.
Les trois fromagers de Banios
Sur le marché de Bagnères de Bigorre, il existe trois fromagers venant de Banios, minuscule village des Baronnies. Cette vallée située entre le plateau de Lannemezan et les montagnes d’Aure, témoigne de l’authenticité d’une terre depuis longtemps travaillée par l’homme et jamais dénaturée.
Blandine & Michel fabriquent et affinent des fromages fermiers de chèvre et de vache. N’ayant aucun mal à vendre, ils en ont davantage à produire. Dans l’enceinte de la halle, Blandine tient seule son étal. Aujourd’hui, elle propose du cabrit de chèvre affiné de 1 à 10 jours, du pavé de chèvre et de la tomme de chèvre, de vache ou mixte. La mine hâlée et les traits tirés, elle s’avoue vaguement dépassée en cette saison. Mais ses crottins de chèvre frais n’en sont pas moins un délice.
Veronika et Benoît, gérant de la ferme de la Coume, travaillent en biodynamique sur les activités maraîchères et fromagères. Sur le marché, ils vendent : tommes de vache et de brebis, pâtés et saucissons artisanaux au porc noir de Bigorre, conserves maison et une variété impressionnante de légumes. Pour eux, cette technique va plus loin que l’agriculture biologique dans la mesure où tout un écosystème est mis à contribution pour obtenir des produits de qualité, en adéquation quasi parfaite avec ce que nous donnerait spontanément la nature. Ils proposent également des visites à la ferme, l’occasion rêvée de s’initier à la traite des brebis (entre autres tâches de la ferme).
Michel Mape quant à lui, se poste généralement à l’extérieur de la halle, au niveau du restaurant dans les allées.
Plutôt que de se faire concurrence, les trois fromagers de Banios se serrent les coudes. Solidaires, ils prônent une qualité de produit digne des Baronnies. Cette vallée est également appelée la « petite Amazonie des Pyrénées » ou « Gourgue d’Asque » donne l’impression de forêt tropicale. Les fromagers de Banios ont su tirer profit de ce climat et nous régalent de leurs tommes et crottins tous les samedis sur marché de Bagnères.
Sud Ouest Gourmand, 2011